Marie-Claude FOURNET
Avocat au Barreau de Paris
Forte est la tentation pour le titulaire de droits qui s’estime victime d’actes de contrefaçon de prévenir les clients du présumé contrefacteur de l’action judiciaire qui lui est intentée, avant même que le jugement ne soit rendu.
Une récente décision de la Cour de cassation, en date du 9 janvier 2019, invite toutefois à la prudence, en rappelant qu’un tel comportement n’est pas sans risque et peut être qualifié d’acte de concurrence déloyale.
Dans cette affaire, une société spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de mobilier de jardin, avait assigné un de ses concurrents en contrefaçon de ses modèles communautaires. Or quelques semaines plus tard, sans attendre le jugement qui déboutera au demeurant le demandeur de ses demandes, le distributeur français du demandeur avait informé plusieurs clients du présumé contrefacteur de l’action en contrefaçon engagée, entrainant ainsi plusieurs annulations de commandes. Le présumé contrefacteur avait par conséquent riposté sur le fondement des articles 1240 et suivants du Code civil en assignant le distributeur du demandeur en concurrence déloyale pour dénigrement.
Si les juges de première instance avaient retenu l’existence d’une faute, en considérant que le distributeur du demandeur avait « mis en œuvre des moyens de nature à déstabiliser son concurrent en diffusant auprès de plusieurs enseignes de la grande distribution, pendant la période des négociations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, des informations sur une action à l’issue encore inconnue donc incertaine », et l‘avaient condamné à indemniser le prétendu contrefacteur à hauteur de 950.000 euros, la cour d’appel a infirmé ce jugement, au motif que la seule information des clients du concurrent de l’existence d’une action en contrefaçon, dès lors qu’elle n’était pas accompagnée de « propos mensongers, excessifs, dénigrants ou de menaces, ne constituait pas en soi un comportement déloyal » .
Saisie d’un pourvoi, la haute juridiction casse l’arrêt de la cour d’appel de Paris en rappelant, au visa des articles 1240 et suivants du Code civil et 10 de la CESDH, que « même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure ».
En l’espèce, la Cour de cassation a retenu que la simple action en contrefaçon, qui ne repose que sur le seul acte de poursuite engagé par le titulaire de droits, dès lors qu’aucun jugement n’a été rendu, ne constitue pas une « base factuelle suffisante » pour justifier que cette information soit délibérément portée à la connaissance de la clientèle du présumé contrefacteur.
Une telle divulgation constitue dès lors un dénigrement fautif.
Décisions citées:
Tribunal de grande instance de Paris, 3ème Chambre, 4ème section, 9 octobre 2014, RG 13/11221
Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Chambre 1, 17 janvier 2017, RG 14/25268